Histoire 

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Abbaye de Gellone, Piquart Benoit_Office de Tourisme Intercommunal de Saint-Guilhem-le-désert_Vallée de l’Hérault

La fondation, en 804, de l’Abbaye bénédictine de Gellone, s’inscrit dans le contexte historique et religieux de la région. La Septimanie, occupée par les Wisigoths puis par les musulmans, est conquise par les Francs au début du VIIIe siècle. Cette nouvelle colonisation apporta une floraison d’un grand nombre de monastères. Ainsi, la création de l’abbaye a été une habile œuvre politico-religieuse menée par la monarchie franque. Avant l’arrivée de Guilhem, c’est le religieux local Witiza (futur saint Benoît d’Aniane) qui fut le premier fondateur de l’abbaye. D’ailleurs, le monastère suit d’une vingtaine d’années la fondation de l’abbaye d’Aniane. Les liens initiaux entre les deux abbayes, paradoxalement proches (moins de 5 km), sont cependant confus et Gellone ne fut peut-être à ses débuts qu’une simple cella monastique sous la stricte dépendance des abbés d’Aniane. Un long litige juridique, avec usages de documents falsifiés, du moins apocryphes, opposera les deux abbayes jusqu’au XIIe siècle. Au Xe siècle, avec la canonisation de Guilhem et le don de Charlemagne d’une relique du bois de la crucifixion, le rayonnement spirituel de Gellone s’affirma. C’est vers l’An Mil qu’a eu lieu une première élévation de la dépouille de saint Guilhem et c’est dans ce contexte que la construction de l’Abbaye fut entreprise, au début du XIe siècle.

L’église et le cloître inférieur ont été dans l’ensemble terminés à la fin du siècle. Seules diverses modifications ultérieures (porche avec narthex, tour-clocher, etc.) se poursuivirent.

Vers 1140, un moine du nord de la France, Aymeri Picaud, à qui l’on prête le célèbre Guide du pèlerin, fera de cette abbaye alors florissante, une étape fondamentale des chemins de Compostelle. Le monastère se situant en effet non loin du chemin d’Arles qui reliait la Camargue au Toulousain. En 1162, la papauté trancha définitivement en faveur de l’indépendance de Gellone, où le monastère exerçait à l’époque un contrôle total sur plus d’une quarantaine d’églises du sud de la France étendant ses ramifications jusqu’au Portugal et aux Alpes. Par la suite, le concile de Lombers  qui se déroula en 1165 près d’Albi, en fit l’un des sept monastères où les cathares repentis devaient recevoir pénitence. Comme l’argent ne manquait pas, le monastère se lança autour de 1200 dans la construction d’un fastueux cloître supérieur, soit deux galeries superposées sur les quatre côtés du trapèze. Avec l’espace que forme le déambulatoire, il est symboliquement de forme carré. C’est autour de lui que s’agença l’abbatiale et les bâtiments conventuels. L’abbaye s’est défaite toutefois de certaines de ses possessions, notamment au profit des Templiers, pour assurer de coûteuses dépenses.

Vers 1500, après l’effondrement démographique dû aux guerres et aux pestes des 150 dernières années et malgré la perte de quelques possessions, les revenus du monastère restèrent encore élevés. Avec 2455 livres, toutes dépendances confondues, elle est seulement dépassée par la province religieuse de Saint-Sever de Gascogne (5200 livres), de Lagrasse (3500 livres) et d’Aniane (3075 livres). A cette époque, l’abbaye vivait encore dans une certaine aisance. En s’appuyant sur des possessions extérieures, la levée des droits féodaux et la levée de la dîme, cela lui procurait aisément de quoi subvenir à ses besoins ordinaires ou plus exceptionnels.

Cependant les guerres de Religion mirent à sac l’abbaye et l’agglomération en 1569. Ce qui entraina le déclin définitif de l’établissement religieux. Certes, la destruction ne fut pas générale, comme à Aniane, mais l’église-abbatiale de Saint-Guilhem fut néanmoins sévèrement endommagée.

Ses voûtes furent pétardées, ce qui a contraint la communauté monastique à se défaire d’une bonne partie de ses biens caussenards pour faire face aux besoins fiscaux du royaume et satisfaire ses propres besoins de reconstructions. La mise en commande de l’abbaye au XVe siècle provoqua un relâchement des mœurs religieuses et de la discipline monastique. Comme chacun se disputait âprement les maigres prébendes ecclésiastiques, chaque objet donnait lieu à de maints procès. Quant aux rares calvinistes locaux, une poignée de familles, ils furent chassés manu-militari du village dans les années 1600-1610.

En 1623-1644, l’abbaye s’agrégea, avec certaines réticences, à la congrégation de Saint-Maur. Un retour à une stricte discipline religieuse fut alors observé, notamment en communauté de vie. En 1632, les moines procédèrent par concordat à un partage des revenus du monastère entre l’abbé, à qui fut confié le fief de Saint-Pargoire, Campagnan, et la communauté monastique. Cette dernière récupéra les divers bénéfices des anciens officiers à Saint-Guilhem ou d’autres localités et versa une pension de dédommagement aux moines de l’ancienne observance qui refusaient le nouveau statut. La découverte en 1679 des reliques de saint Guilhem, cachées lors des guerres du XVIe siècle et à qui l’on prêta aussitôt divers miracles, n’amena pas le regain économique espéré. Par la suite, divers travaux furent menés, avec la démolition en 1718 du palais abbatial rendu inutilisable par la terrible crue de 1681. Ce qui donna aux bâtiments conventuels l’allure que nous leur connaissons aujourd’hui. Malgré ces rénovations, le déclin fut sévère et irrémédiable. Le nombre de moines était très faible (moins de 10) et les revenus restaient désormais très limités. Le chapitre monastique peinait à s’acquitter des diverses charges qui lui incombaient, surtout après l’anéantissement par les gels de 1709 de la seule richesse du massif, à savoir l’oliveraie. De plus, l’abbaye et le village furent confrontés en 1723, aux nouvelles crues dévastatrices du Verdus qui entraînèrent la fin d’une bonne partie de l’activité manufacturière et industrielle des lieux. Quant au dernier abbé commendataire, s’il a fait procéder à des travaux routiers qui ouvraient l’abbaye à la plaine, il supprima en 1783 le privilège de juridiction quasi-épiscopale dont l’abbaye jouissait depuis le XIIIe siècle. Avec une indépendance presque totale, elle fut la source de litiges récurrents avec l’évêché.

A la fin du XVIIIe siècle, Saint-Guilhem était donc un monastère exsangue. Propriétaire de peu de biens, il était seulement riche de ses derniers droits féodaux qui affrontaient la tempête politico-religieuse des années 1780-1800.

La Révolution entraina alors la disparition du monastère. Les bâtiments conventuels sont vendus comme bien nationaux et sont transformés en tannerie ou en manufacture de textiles. En ce qui concerne l’abbatiale, elle devint la seule église paroissiale du village et parvint à garder ses orgues de 1782 qui étaient pourtant convoités par diverses églises du département, en 1804-1818.

La crue de 1817, particulièrement dévastatrice, amena les propriétaires du moment à livrer une bonne partie des bâtiments et du cloître à double étage, à la démolition. Quant aux reliques de saint Guilhem, elles furent détruites et dispersées par les crues. Qu’une infime partie a pu être récupérée dans les années 1840.

Ce dépeçage du monastère, particulièrement sévère, amena les propriétaires à vendre une bonne partie des sculptures médiévales, à des collectionneurs. En 1840, l’administration des Monuments Historiques pris l’abbaye en charge et le cloître fut classé. Les restaurations successives donnèrent un nouveau souffle aux bâtiments et les sauvèrent de la destruction. En 1906, un collectionneur américain George Grey Barnard acheta à Pierre de Vernière, juge à Aniane, un ensemble d’éléments sculptés du cloître. Ce qui fait qu’aujourd’hui beaucoup de vestiges de Saint-Guilhem sont intégrés dans une reconstitution au musée The Cloisters de New York.

Le site, malgré toutes les mutilations et modifications subies reste l’un des joyaux de l’art roman languedocien. Progressivement protégé depuis 1840, c’est en 1987 que l’intégralité de l’édifice fut classée au titre des Monuments Historiques.

Description 

L’abbaye de Gellone est de plan basilical de 30 m de long. Elle comporte un narthex qui donne sur une étroite nef de quatre travées et ses bas-côtés, composés de trois travées. S’en suit alors un transept saillant et son chevet polygonal pourvu d’une grande abside et de deux absidioles.

En ce qui concerne le chevet, il demeure un magnifique exemple du premier art roman lombard du Languedoc. L’abside frappe par ses proportions, avec 11,20 m de large. Comme elle ne correspond pas à la largeur de la nef, il est probable que ses constructeurs envisageaient d’en bâtir une nouvelle. Hélas, ce projet ne vit jamais le jour et cette abside remplaça l’ancien chevet carré dont la crypte est le seul vestige. La liaison entre la nef et le nouveau chœur fut réalisée par une travée droite et la différence de hauteur a été remplie par un mur dans lequel trois ouvertures (une croix entre deux cercles) furent aménagées. On remarque que le chevet a été construit autour du chiffre de trois et de ses multiples. Ainsi, on trouve trois chapelles percées chacune de trois fenêtres et dix-huit arcatures aveugles au sommet. La chapelle sud semble être la plus ancienne. Elle possède une décoration spécifique de bandes lombardes, à savoir une frise de plusieurs arceaux qui sont rythmés par des pilastres encadrant les fenêtres.L’accès à l’édifice se fait par le vestibule (narthex) qui est bâti en petit appareil de pierre froide et surmonté d’une croisée d’ogives qui retombe aux angles, sur des chapiteaux. La nef, de 23 m sur 6 m, est un chef d’œuvre d’architecture romane. On est frappé par sa hauteur de 18 m, qui est exceptionnelle pour un édifice roman du XIe siècle. La sobriété de sa décoration la rend d’autant plus imposante. Aucun élément ouvragé n’est en effet présent, lui conférant une grande élégance. Quatre travées composent ce vaisseau qui est entièrement couvert par une voûte de tuf en plein cintre, soutenue par de larges arcs doubleaux qui retombent sur des piliers cruciformes. A part sa première travée qui est un vestige de l’église primitive, la nef communique avec ses bas-côtés. Ces derniers conservent, en plus modeste (2,50 m de large), la même architecture. Très bien proportionnés par rapport à la nef, ils donnent un ensemble homogène exemplaire dans l’architecture religieuse méridionale. Dans le bas-côté sud, une porte aujourd’hui murée donnait directement accès au cloître inférieur du XIe siècle. Ces collatéraux se terminent du côté ouest par des petites niches. Contre celle du sud, vient s’appuyer un escalier de bois qui conduit à l’étroite tribune d’orgue, tandis que celle du nord est équipée d’une cuve baptismale en terre cuite. L’ensemble est relativement bien éclairé par deux grandes baies en plein cintre qui percent chaque travée en partie supérieure. L’axe de la nef est coupé par un saillant transept, voûté en berceau. Seuls ses bras possèdent des voûtes sur croisée d’ogive, qui ont été établies au XVe siècle. Plus loin, le chœur est orné d‘un maître-autel du XIIIe siècle qui trône en dessous d’une magnifique coupole en cul de four.

L’absidiole nord était consacrée au « Cor de Nostra-Dona ». Jusqu’en 1983, elle abritait, derrière une grille, tous les documents lapidaires qui sont aujourd’hui conservés dans les bâtiments conventuels.

L’absidiole sud était consacrée à saint Pierre puis est devenue la chapelle de la Vierge (ou du Rosaire), à partir du XVIIe siècle. A droite, une porte donne accès à la sacristie actuelle dont une partie de la salle capitulaire a été réutilisée.

Une des parties les plus anciennes de l’abbaye est la crypte qui s’étend sous l’abside. On y pénètre en empruntant des escaliers qui prennent naissance dans les bas-côtés. C’est une construction en moyen appareil de tuf, de faibles dimensions. Elle est bâtie selon un plan rectangulaire. En fait, elle constituait la base du chevet rectangulaire qui fut détruit aux XIe et XIIe s. pour édifier l’actuelle abside et ses absidioles. En raison de son caractère particulièrement sacré puisqu’elle contenait les restes de Saint-Guilhem, elle fut conservée. Elle est divisée en deux nefs par des piliers et ses murs latéraux sont allégés par des arcs. A droite, au fond, un massif supportait certainement le tombeau de Saint-Guilhem. Jusqu’au XIIe siècle, les reliques du Saint ont été vénérées à cet endroit, puis furent transportées dans le chœur.Au pied du chevet se trouvait le cimetière des moines qui fut déplacé au XVIIIe siècle dans le haut du village. Aujourd’hui, c’est un jardin communal qui le remplace.

 

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Vue sur le cloître de l’abbaye, Piquart Benoit_Office de Tourisme Intercommunal de Saint-Guilhem-le-désert_Vallée de l’Hérault

On accède au cloître par une porte aménagée dans le collatéral sud. Actuellement, il ne subsiste qu’une partie du cloître inférieur. Deux côtés sont à peu près bien conservés, au nord et à l’ouest. La galerie ouest possède une partie de ses voûtes d’arrêtes ainsi que des restes de fresque. Le rez-de-chaussée est contemporain de la construction de l’église et doit se situer au XIe siècle, alors que son étage date des XIIIe-XIVe siècles. De ce cloître, on communiquait avec les bâtiments conventuels : au nord avec l’église, à l’ouest avec le réfectoire, à l’est avec la salle capitulaire du rez-de-chaussée et du dortoir des moines à l’étage et au sud avec le jardin des religieux.

L’accès à l’édifice se fait par un portail dont l’archivolte comprend trois voussures, garnies de tores très épais qui retombent sur des colonnes, accompagnées de chapiteaux décorés de feuilles d’acanthe. Au-dessus, des sculptures romaines ont été scellées. A l’étage, au-dessus de la corniche, s’ouvre au centre une fenêtre encadrée de colonnettes que l’on retrouve sur les faces latérales. L’ensemble de cette construction date du XIIe siècle. En revanche, la tour qui a été élevée date du XVe siècle.

Au sud du porche occidental se trouve le réfectoire qui abrite aujourd’hui le musée lapidaire. Sa façade date des années 1970. Elle est rythmée par des contreforts massifs et éclairés par des fenêtres étroites. Bâti en tuf et voûté probablement au XVIIe siècle, le réfectoire se présente comme une salle aux vastes dimensions dont l’allure générale est assez stricte. Sa façade sud, en hauteur, présente une rosace gothique.

En ce qui concerne ses trésors, l’abbaye de Gellone a en possession plusieurs reliques. Ainsi, sur la droite du chœur se trouvent les reliques de la Vraie Croix de Charlemagne. Offerte à saint Guilhem, en récompense de son dévouement, c’est elle qui donna tout son rayonnement à l’abbaye de Gellone. L’autel de Saint-Guilhem est également présent. Il s’agit d’un objet en marbre blanc et noir, incrusté de verre. La date de fabrication de cet élément n’est pas connue, mais on suppose qu’elle remonte au XIIe siècle.

Dans la première travée de la nef, côté ouest, l’élément le plus fameux est l’orgue de Jean-Pierre Cavaillé qui a été réalisé en 1782. L’orgue de Saint-Guilhem est resté inachevé à cause de la Révolution. Il a été terminé et restauré entre 1981 et 1984 par Férignac pour le buffet et Alain Sals pour la partie instrumentale. L’orgue et son buffet à deux corps, de style baroque, sont désormais classés au titre des Monuments Historiques en 1974 et 1975.

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Orgue, Piquart Benoit_Office de Tourisme Intercommunal de Saint-Guilhem-le-désert_Vallée de l’Hérault

Majestueux, pureté et élégance sont autant d’attributs pour désigner l’abbaye de Gellone. Grâce à la massivité de son architecture, l’édifice fait partie des plus beaux joyaux de l’art roman. Sa renommée est attestée de tous puisque le site est, depuis 1998, classé patrimoine mondial auprès de l’Unesco. Et  depuis 2010, le site de Saint-Guilhem-le-Désert a obtenu le label des Grands Sites de France.