Histoire

La villa Gallo-romaine de Saint-Bézard est un établissement vinicole antique situé sur la commune d’Aspiran, dans la moyenne vallée de l’Hérault. Fondée au début du  premier siècle par Quintus Julius Primus, ce complexe domanial  était situé à environ quarante kilomètres au nord de la colonie romaine de Baeterra[1] (Béziers), et à seulement quatre kilomètres au sud de l’agglomération secondaire de Peyre-Plantade.

 

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Vue générale du complexe de Saint-Bézard et de son proche environnement, cliché S. Sanz_CNRS/Pays Cœur d’Hérault

Établie à environ 52 m d’altitude, et couvrant une superficie d’environ deux hectares, la villa est installée, côté biterrois, en bordure de la rivière Dourbie. Celle-ci constituait la frontière entre le territoire de Béziers et celui de la colonie latine de Luteva (Lodève). Ainsi la villa jouissait d’un emplacement stratégique. Située à proximité de cette rivière, elle était également en bordure de la voie antique qui longeait le fleuve Hérault depuis Saint-Thibéry (Cessero) jusqu’à Lodève. Cette situation privilégiée permettait la commercialisation des productions locales vers le Massif Central et  surtout, en direction de la mer Méditerranée et le port d’Agde. Placé en position frontalière, en connexion directe avec le réseau des voies de communication terrestre, fluviale et littorale, ce vaste établissement bénéficiait de conditions de développement extrêmement favorables. C’est sans doute ces avantages « naturels » qui ont amplement contribué au choix de son installation.

La villa de Saint-Bézard a été fondée par Quintus Julius Primus. Comme l’indiquent ses tria nomina, ce dernier disposait de la citoyenneté romaine. Au tout début de notre ère, la Gaule narbonnaise était un véritable « eldorado » économique pour les romains. Quintus Julius Primus était sûrement un de ces colons qui vivait à l’époque de l’empire d’Auguste (27 av JC à 14 ap JC). C’est sans doute autour de 10 après JC que Quintus s’installa à Aspiran dans le but d’investir. Celui-ci fit planter des vignes, plusieurs dizaines d’hectares, et ouvrit également les carrières d’argiles pour son atelier de potiers. Afin d’asseoir son commerce, les chercheurs pensent que Quintus entreprit en même temps, la construction de son domaine (la pars urbana) ainsi que des bâtiments viticoles, associant l’atelier des potiers (la pars rustica). Les deux activités vont de pair puisque c’est dans de grandes jarres en céramiques que le vin est stocké et c’est dans de grandes amphores qu’il est exporté. Les archéologues pensent d’ailleurs que Quintus venait d’Italie du sud et plus exactement de la région de Pouzolles, en Campanie, qui était une région connue pour sa production de céramique. Ainsi, Quintus importa les techniques de fabrication en Narbonnaise. Comme le montre les noms de potiers apposés sur les céramiques découvertes, il s’entoura d’artisans de cette région d’Italie, ainsi que des Espagnols et des Gaulois.

Description

Pour le domaine de l’archéologie c’est suite à des travaux agricoles que Gaston Combarnous découvrit le site dans les années 1950. Lors des diverses prospections effectuées, un abondant mobilier céramique fut recueilli, ce qui a permis de fixer l’occupation du site entre la période augustéenne et le milieu du IIe siècle. Quelques années plus tard, l’élargissement de la route nationale n°9 qui borde le site, entraina la fouille partielle de l’aile méridionale de la villa.  Ces interventions ayant révélé des vestiges riches et particulièrement bien conservés, une fouille programmée fut alors entreprises. C’est avec  une équipe du CNRS et de l’université de Montpellier III, que la fouille et le programme de recherche pluriannuel fut commencé à partir de 2005. Actuellement, les fouilles ont concerné la partie basse du site.  De plus certains vestiges mis au jour, comme le natatio, les fours à dolia ou le bâtiment artisanal, sont surdimensionnés, ce qui confirme  la richesse et l’importance de la villa de Quintus. Véritable complexe économique basé sur le commerce du vin, les fouilles archéologiques ont permis de retracer au total, sur ce site, près de 500 ans de vie. Pour les archéologues et les historiens, l’ampleur des constructions et le caractère extrêmement organisé de la chaîne de production vinicole ne cesse de surprendre pour l’époque. Alors que les recherches ne sont pas encore finies et que les vestiges ne sont pas tous découverts, le site de Saint-Bézard présente un énorme potentiel.

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Vue générale de la piscine extérieure de Saint-Bézard avec à l’arrière plan le chai vinicole occidental et ses emplacements à doliums, cliché S. Mauné/Pays Cœur d’Hérault

Saint-Bézard apparait comme l’archétype de la grande villa d’époque romaine. La régularité et l’ampleur des constructions, leur alignement et la présence de cours, dont une est bordée d’une galerie couverte, témoignent directement de l’influence de l’architecture romaine, connue en Italie à la même époque. La villa de Quintus Julius Primus fut occupée dès le début du Ier siècle jusqu’au Ve siècle de notre ère. Le domaine était prospère grâce à ses sources de revenue qui étaient essentiellement basées sur le vin, l’élevage, et la céréaliculture. Cependant une part non négligeable de ses richesses provenait de l’artisanat. En effet, le propriétaire faisait fabriquer dans l’atelier de potiers, des amphores, des matériaux de construction et des vaisselles de table et de cuisine.

Inventaire des vestiges mis au jour

C’est de part et d’autre d’un chemin vicinal que s’étend ce vaste ensemble domanial. On peut rassembler les vestiges découverts de la villa en trois catégories : domestique, agricole et aquatique. L’ensemble des vestiges conservés permettent de reconstituer toute la chaîne opératoire agricole et artisanale nécessaire à la production et à la commercialisation du vin.

  • Le côté Est, concerne le secteur de la villa. Les archéologues pensent que l’édification de la « pars urbana » s’est faite entre 10 et 20 après JC, soit après les quelques années nécessaires au développement de la vigne et une fois que l’atelier des potiers fut en pleine activité. La résidence du maître même si elle n’a pas encore été dégagée, devait être au centre de l’entreprise agricole. On remarque une grande construction en « U » qui date de l’extrême fin des années 10 de notre ère. Ce bâtiment, de 50 m sur 50 m de côté, possède une vaste cour de 900 m2, qui est bordée au sud par une galerie couverte. C’est autour de cette cour que s’articulent les installations vinicoles qui ont commencées à se mettre en place dès les années 10. La galerie couverte qui est accolée à la cour est entièrement consacrée à la viticulture. A côté d’elle, se trouve deux chais[2] qui mesurent 50 m sur 10 m. Le plan de ce complexe est parfaitement symétrique, où deux ailes de 50 m de long sont destinées au stockage des vins et encadrent à leur extrémité méridionale, une troisième aile perpendiculaire qui était le lieu de production de ce précieux breuvage (fouloirs et pressoirs).
  • Au sud-ouest du dispositif viticole a été édifié dans les années 20 et 40, un bâtiment étroit de 31 m sur 4,65 m (soit 144 m2) qui abrite un balnéaire à pièces en enfilade. Celui-ci s’ouvre sur une vaste cour de 650 m2, interprétée comme une palestre (cour d’exercice). Le balnéaire se compose d’un apodyterium (vestiaire), d’un frigidarium (salle froide), d’un tépidarium (salle tiède), d’un caldarium (salle chaude) et d’un praefurnium (pièce ou se trouvait le foyer du caldarium). Vers la fin du 1er siècle, ces premiers thermes sont monumentalisés avec l’adjonction d’une grande piscine d’eau froide de 280m2. Ce vaste natatio, de 17,70 m sur 15, 20 m hors œuvre, est équipé d’une abside de 6 m de large, sur son côté ouest. Cette abside, profonde de 2,30/40 m, abritait vraisemblablement une fontaine monumentale qui assurait l’approvisionnement constant et régulier en eau. L’alimentation en eau se faisait grâce à un aqueduc, construit le long de la voie empierrée qui traversait l’établissement. De l’autre côté de la voie, la mise en place, au même moment, d’un second balnéaire entouré d’une tour grenier et d’une boulangerie, nous donne des indications concernant sa vocation. Ce nouvel édifice balnéaire, dit les thermes nord, étaient probablement destinées à la main-d’œuvre du domaine.
  • C’est dans le dernier tiers du 1er siècle que la tour-grenier est édifiée. Le bâtiment, de plan rectangulaire, est semi-excavé. Les vestiges de sa fondation sont profonds (-2 m par rapport au niveau de circulation extérieur) laissant supposer qu’il disposait d’une élévation très haute. Au total, on restitue une tour d’une hauteur comprise entre 15 et 19 m qui comprenait deux à trois étages, soit une surface utile de plus de 300 m2. Le plan de ce bâtiment, dans son état initial, s’intègre parfaitement dans une série de constructions qui semblent pour certaines, liées au stockage du grain mais qui marquent également le paysage grâce à leur aspect monumental. La moitié nord-ouest de l’entresol de la tour, était occupée par une cuisine-boulangerie, tandis que l’autre partie de l’entresol, située le long de la voie empierrée, accueillait le balnéaire.
  • A proximité de la boulangerie et des thermes nord, se trouve un édicule cultuel qui a été mis au jour en 2008. Ce petit édifice, de 2,50 m sur 2,60 m, est de plan trapézoïdal et date du courant du IIe siècle. Il est soigneusement construit et a livré deux pichets de céramiques ainsi que de nombreux fragments.
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  • Timbres sur céramique sigillée et sur dolium produit dans l’atelier de Saint-Bézard ; anneau en bronze épigraphique, doc. S. Mauné_CNRS/Pays Coeur d’Hérault
  • Cet édicule s’insère dans une petite série de constructions similaires, cependant on ignore encore leur fonction précise. Certains accueillaient un autel ou une statue en bois d’une divinité, d’autres ont pu servir au regroupement d’une partie des offrandes provenant d’un temple. L’association de constructions cultuelles et de villae est assez rarement attestée en Gaule. Ce qui est certain, c’est que ces édicules ont été découverts dans des villae de taille étendue et semblent être mis en relation avec la présence d’une population nombreuse. La question qui reste en suspens est celle du caractère privé ou public de ces constructions cultuelles. En d’autres termes, étaient-elles seulement fréquentées par le personnel de la villa ou bien attiraient-elles aussi la population environnante.
  • Le reste de la parcelle ouest est occupé par l’atelier des potiers et ses dépendances. Au total, son emprise est d’une taille importante puisque le secteur de l’atelier couvre presque 1,5 ha. Ce qui frappe le plus à l’examen du plan, c’est le caractère rigoureux de son organisation. Le point central est un vaste bâtiment artisanal autour duquel se répartissent le quartier des bassins en tuiles, la zone des fours et les secteurs ouverts (cours et accès). En ce qui concerne le bâtiment, il mesurait 35 m sur 15 m et devait certainement posséder un étage. On suppose que son élévation consistait en une architecture de terre, similaire à celle observée dans la tour-grenier voisine et dans le grand chai vinicole, ce qui expliquerait le faible ancrage des fondations dégagées. Il est également probable que ce bâtiment artisanal disposait d’une galerie de circulation installée le long de sa façade méridionale où se trouvait une vaste cour. Située au centre, cette construction couvrait 525 m2 au sol et semble avoir été mise en fonction dès le démarrage de l’atelier, au tout début du Ier siècle et a pu rester en usage jusqu’à l’abandon de celui-ci. C’est à l’Est de ce bâtiment qu’un vaste espace vierge a été dégagé. On l’interprète comme une cour dans laquelle pouvait s’organiser une partie du travail artisanal. Cependant, il est impossible de préciser la nature des aménagements et des installations qui étaient regroupés dans ce secteur.
  • Au sud de l’atelier, se trouve une autre cour et des installations artisanales. L’exploration de cette zone a permis d’observer la présence de nombreuses ornières de charrette et de niveaux de circulation soigneusement agencés, bordant des installations liées à l’atelier de potiers. C’est vraisemblablement ici qu’étaient chargés les charrettes et convois de mulets qui devaient acheminer les productions de l’atelier vers les sites consommateurs. Pour ce qui est des autres installations artisanales, dix bassins sur douze, ont été mis à jour entre 2008 et 2010. Installés dans un secteur spécialisé de l’atelier, ils sont construits à l’aide de tuiles plates entières (les tegulae) dont 350 exemplaires intacts ont été recueillis. La profondeur moyenne des bassins varie selon les périodes, entre 62 et 53-54 cm. Pour finir, les vestiges de 18 fours ont été détectés dans l’emprise de l’atelier. Une dizaine a été dégagé et se rassemblent en trois groupes principaux. C’est la première fois dans le monde romain que de tels fours ont pu être sortis de terre.

[1] : La colonie Baeterra  fut fondée par Auguste dans les années 30 avant JC.

[2] : Les chais sont des entrepôts où on stocke des fûts de vin et d’eaux-de- vie.